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Résumé du dossier : Citizens Against Radioactive Neighbourhoods c BWXT Nuclear Energy Inc.

Le 9 juin 2022, la Cour fédérale du Canada a rendu une décision dans laquelle elle a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par une organisation communautaire afin de contester une décision en matière de permis de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (la Commission) Note de bas de page 1. Le demandeur, Citizens Against Radioactive Neighbourhoods (CARN), a fait valoir que la décision de la Commission de renouveler le permis de BWXT Nuclear Energy Canada Inc. permettant à celui-ci d’exploiter deux installations de combustible nucléaire à Toronto et à Peterborough, en Ontario, était illégale et déraisonnable.

Sur cette page :

Contexte

CARN est une organisation à but non lucratif sans personnalité morale qui est établie à Peterborough, en Ontario, et qui a été créée au printemps de 2019 en réaction à l’intention de BWXT de demander à la Commission un renouvellement pour 10 ans d’un permis qui permettrait la production de pastilles de combustible de dioxyde d’uranium à l’installation de Peterborough.

BWXT possède et exploite les deux installations de fabrication de combustible nucléaire à Toronto et à Peterborough. Selon la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires et son Règlement sur les installations nucléaires de catégorie I, les deux installations sont définies comme des « installations nucléaires de catégorie IBNote de bas de page 2 ». Avant 2016, ces installations étaient exploitées par GE-Hitachi Nuclear Energy Canada Inc. La Commission a transféré le permis d’exploitation de ces installations à BWXT après que celle-ci eut fait l’acquisition de cette dernière société en 2016.

Le 2 novembre 2018, BWXT a demandé à la Commission le renouvellement pour 10 ans de son permis d’exploitation des deux installations de catégorie IB. Elle voulait obtenir l’autorisation de mener à Peterborough des opérations de « production de pastilles » qui étaient auparavant autorisées uniquement à l’installation de Toronto en vue d’en faire éventuellement le commerce. Les opérations de production de pastilles consistent en la fabrication de pastilles de dioxyde d’uranium naturel et appauvri (UO2), qui sont ensuite insérées dans des tubes de zircaloy destinés à être assemblés en grappes de combustible pour les réacteurs nucléaires de puissance. L’installation de Peterborough se trouve dans un secteur résidentiel du centre-ville de Peterborough, juste à côté d’une école primaire.

La décision de la Commission

En mars 2020, la Commission a tenu une audience publique de cinq jours durant laquelle elle a examiné la demande de BWXT. Pendant deux jours à Toronto et trois jours à Peterborough, elle a écouté les témoignages de BWXT, du personnel de la société, et de 248 intervenants, y compris CARN.

Dans sa décision du 18 décembre 2020Note de bas de page 3, la Commission a renouvelé le permis de BWXT pour une période de 10 ans en vertu de l’article 24 de la LSRN et scindé le permis en deux permis propres à chacune des installations situées à Toronto et à Peterborough. Les permis renouvelés pour chaque installation ont été déclarés valides pour la période allant du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2030.

Par une décision majoritaire, la Commission a autorisé BWXT à produire des pastilles de combustible à des fins commerciales à son installation de Peterborough, sous réserve de trois conditions, les deux premières étant communément appelées des « points d’arrêt » :

  • La condition 15.1 obligeait BWXT à soumettre et à mettre en œuvre un programme de surveillance environnementale à jour à l’installation de Peterborough avant le début de la production de pastilles de combustibleNote de bas de page 4;
  • La condition 15.2 obligeait BWXT à présenter un rapport final de mise en service concernant la production de pastilles de combustible qui soit acceptable pour la Commission avant le début de la production commerciale de pastilles de combustible à l’installation de PeterboroughNote de bas de page 5;
  • La condition 15.3 prévoyait que la production commerciale de pastilles de combustible pourrait être effectuée soit dans l’installation de Toronto, soit dans celle de Peterborough, mais non dans les deux installationsNote de bas de page 6.

Les commissaires minoritaires (dissidents) n’auraient pas autorisé la production de pastilles de combustible à l’installation de Peterborough. La majorité des commissaires était toutefois convaincue que les opérations de production de pastilles seraient suffisamment sûres aux deux installations, étant donné que la dose efficace au public et les rejets de dioxyde dans l’air et dans les effluents resteraient bien en deçà des limites réglementaires et des permis. Elle a donc conclu que BWXT était « en droit de déterminer la meilleure façon de mener ses activités, et que le rôle de la Commission est de veiller à ce qu’elle le fasse en toute sûreté, conformément à la LSRN et aux règlements connexesNote de bas de page 7 ». Par contre, les commissaires minoritaires étaient d’avis que même si la production était sûre aux deux installations, « la question n’est pas de savoir si la production de pastilles est sûre à Peterborough, mais plutôt de savoir à quel endroit il est “plus sûr” de le faireNote de bas de page 8 ».

Les commissaires minoritaires étaient convaincus que l’affaire devait être examinée selon le principe du « niveau le plus bas qu’il soit raisonnablement possible d’atteindre » (principe ALARA), le principe de justification, le principe de prudence et le risque relatif des opérations de production de pastilles aux deux installations. Dans cette optique, ils n’auraient pas autorisé la production de pastilles à l’installation de Peterborough. La proximité d’une école primaire et les préoccupations des résidents étaient des facteurs prédominants qui militaient contre l’autorisation de la production de pastilles à Peterborough. Les commissaires minoritaires ont conclu ce qui suit :

[...] BWXT n’a pas fourni de justification qui l’emporterait sur la nécessité de protéger la population plus vulnérable de Peterborough, et qu’il est donc plus justifiable de produire les pastilles à Toronto qu’à PeterboroughNote de bas de page 9.

En ce qui concerne le « principe de prudence », ils ont tiré le raisonnement suivant :

[...] même s’il est difficile de soutenir qu’il existe un risque de « dommages graves ou irréversibles » en cas de transfert des opérations de production de pastilles, l’augmentation des doses de rayonnement et des rejets d’UO2 dans l’air et les effluents sur un site où se trouve une population vulnérable adjacente n’est pas sous le signe de la prudenceNote de bas de page 10.

Pour leur part, les commissaires majoritaires se sont exprimés ainsi :

[...] les très faibles niveaux de rejets dans l’environnement et de doses au public n’auraient pas d’impact sur la santé des personnes et l’environnement, conformément au paragraphe 24(4) de la LSRN. Il incombe au titulaire de permis d’évaluer et de documenter la justification de sa proposition, et la Commission est d’avis que BWXT respectera le principe ALARA et visera à réduire au minimum les doses à l’un ou l’autre endroit. En outre, la majorité est d’avis qu’il n’y a pas de motif raisonnable pour refuser la demande d’inclure une certaine latitude dans le permis, car une confirmation supplémentaire de ces faibles niveaux devra être démontrée par un rapport final de mise en service et une analyse de la sûreté actualisée, si BWXT devait choisir de transférer ses activités de production de pastillesNote de bas de page 11.

Ils ont également tiré le raisonnement suivant en ce qui concerne la protection adéquate de la santé et de la sécurité des personnes et le « risque relatif » des opérations de production de pastilles à l’une ou l’autre des installations :

le transfert de la production de pastilles augmenterait les rejets environnementaux d’UO2 dans l’air et l’eau, ainsi que la dose qui en résulterait pour le public de Peterborough. Toutefois, la majorité estime que ces doses seraient si négligeables qu’elles n’auraient aucun impact sur la santé et la sécurité des personnes ni sur l’environnement, y compris pour la population la plus vulnérable, comme les élèves de l’école publique Prince of Wales. Les rejets ne représenteraient qu’une très faible fraction des limites réglementairesNote de bas de page 12.

La décision de la Cour fédérale du Canada concernant la demande de contrôle judiciaire

Le juge Mosley, de la Cour fédérale, a commencé son jugement et ses motifs ainsi :

Il s’agit d’une affaire où les intérêts de la collectivité s’opposent à ceux d’une entreprise assujettie à un régime de réglementation qui vise à protéger le public. La question que la Cour doit trancher est de savoir si l’organisme de réglementation chargé d’administrer le régime s’est acquitté correctement de ses fonctions dans la prise d’une décision concernant l’exploitation de l’entreprise. Le critère que la Cour doit appliquer n’est pas la question de savoir si elle souscrit à la décision, mais si celle-ci respecte la norme juridique de la décision raisonnableNote de bas de page 13.

La Cour a conclu que la décision de la Commission était légale et raisonnable, et elle a rejeté la demande présentée dans le but de faire annuler la décision relative au permis. Elle a abordé les quatre questions principales suivantes :

  • La norme de contrôle applicable, ou le degré de déférence à accorder au décideur
  • La suffisance des documents fournis à l’appui de la demande de renouvellement du permis et des renseignements fournis aux fins de l’audience
  • La légalité des conditions de permis ou « points d’arrêt »
  • La façon d’appliquer les principes ALARA, de justification et de prudence dans le cadre du régime législatif de la LSRN et du droit interne pour évaluer la légalité de décision rendue par les commissaires majoritaires

(i) La norme de contrôle

Les parties ont convenu que la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable. La Cour a expliqué cette norme de la façon suivante :

Une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti ». Elle doit englober les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité. La cour de révision doit adopter une approche empreinte de déférence et intervenir uniquement « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif.»Note de bas de page 14

La Cour a cité les orientations données par la Cour d’appel fédérale dans un arrêt de 2016 concernant le contrôle d’une décision de la Commission, les qualifiant de « directement pertinentes en l’espèce » :

Lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, les questions en litige incluent des conclusions de fait et des décisions discrétionnaires au cœur de l’expertise du tribunal, la norme de la décision raisonnable exige une retenue considérable à l’égard des décisions rendues par ce tribunal. Cela est particulièrement vrai lorsque les questions à examiner touchent la sûreté nucléaire et que le tribunal est un organisme de réglementation nucléaire. En bref, la CCSN est beaucoup mieux placée qu’une cour réformatrice pour évaluer les faits, pour déterminer les types d’accidents éventuels les plus susceptibles de se produire à une centrale nucléaire et pour évaluer l’impact qu’auraient ces accidents éventuels sur l’environnement. Il est donc inapproprié pour une cour réformatrice de remettre ces conclusions en question par le réexamen poussé des éléments de preuve, ce que les appelants demandent à la Cour de faire en l’espèce. [Non en gras dans l’original.] Note de bas de page 15

(ii) Le caractère suffisant des documents fournis à l’appui de la demande de permis

Dans sa demande de contrôle judiciaire, CARN a fait valoir que la demande de permis de BWXT ne comportait pas tous les renseignements requis par la Loi et le règlement applicable, qu’elle était incompatible avec le régime de réglementation, et que cela a donné lieu à une décision déraisonnable de la part de la Commission. CARN a soutenu que puisque ce manque de renseignements allégué ne respectait pas les exigences législatives et réglementaires, la Commission n’avait pas le pouvoir de délivrer un permis pour les opérations visées.

Cet argument n’a pas convaincu la Cour, qui a conclu que le caractère suffisant d’une demande présentée à la Commission au titre de la LSRN et de ses règlements était :

[...] une norme subjective qu’il appartient à la Commission d’appliquer, car les règlements énoncent des normes vastes et générales et comportent des termes définis sans précision scientifique. Ces normes générales laissent à la Commission une marge de manœuvre dans l’appréciation qu’elle doit faire. Il convient de souligner que la Commission a rédigé elle‑même le Règlement sur les installations nucléaires de catégorie I [...] Le législateur a laissé à la Commission, et non au demandeur ou à la Cour, le soin de déterminer le degré de spécificité exigé par ces termes généraux. [Non en gras dans l’original.]Note de bas de page 16

La Cour était convaincue qu’aucune erreur susceptible de contrôle n’avait été commise à cet égard.

(iii) Les conditions de permis ou « points d’arrêt »

Dans sa contestation de la décision de la Commission, CARN a fait valoir que les conditions de permis 15.1 et 15.2 imposées par la Commission déferraient illégalement des éléments essentiels de son pouvoir décisionnel et dégageait le titulaire du permis de certaines obligations devant impérativement être remplies. Ces conditions exigent qu’avant de commencer les opérations de production de pastilles dans l’installation de Peterborough, le titulaire du permis doit d’abord fournir des renseignements à jour qui seront vérifiés. Du point de vue de CARN, il s’agit de renseignements que la Commission doit avoir à sa disposition et doit pouvoir évaluer avant d’autoriser toute activité. Pour sa part, la défenderesse, BWXT, a fait remarquer que l’imposition de points d’arrêt n’était pas une pratique inhabituelle pour la Commission et qu’elle assortissait bon nombre des permis qu’elle délivrait de points d’arrêt axés sur l’avenir. Il s’agit d’un élément important permettant d’assurer une surveillance réglementaire.

La Cour a observé que la LSRN conférait à la Commission un large pouvoir discrétionnaire concernant l’imposition de conditions. Le paragraphe 24(5) de la LSRN prévoit ce qui suit :

Les licences et les permis peuvent être assortis des conditions que la Commission estime nécessaires à l’application de la présente loi, notamment le versement d’une garantie financière sous une forme que la Commission juge acceptable.

Jugeant que ce libellé témoignait de l’intention du législateur que la Commission jouisse d’une grande souplesse dans l’interprétation de sa loi habilitante, la Cour a conclu que l’imposition par la Commission de conditions de permis ou « points d’arrêt » constituait un exercice valide de son pouvoir discrétionnaire :

Ce n’est là que l’un des « vastes pouvoirs » que le législateur a conférés à la Commission en ce qui a trait à l’octroi de permis en vertu des articles 24 et 25 de la LSRN. Le législateur envisageait donc que la Commission jouisse d’une grande souplesse dans l’interprétation du sens du paragraphe 24(5) de la LSRN.

De l’avis de la Cour, le texte général et non limitatif du paragraphe 24(5) répond tout à fait à la question de savoir si les conditions du permis étaient légales, car il accorde à la Commission le pouvoir d’assortir les permis de conditions sous forme de points d’arrêt qui doivent être respectées à l’avenir. L’inclusion dans le permis de conditions sous forme de points d’arrêt n’est pas un report d’une décision, mais fait plutôt partie intégrante de la décision que la Commission a prise. Par conséquent, la Commission a rendu une décision qui était tout à fait conforme à sa loi habilitanteNote de bas de page 17.

La Cour était également convaincue que la Commission n’avait commis aucune erreur susceptible de contrôle en exigeant à un titulaire de permis de fournir des renseignements supplémentaires à l’avenir. Elle a déclaré « [qu’i]l est prévisible que des changements soient apportés à une installation ou activité autorisée. Il serait peu utile que la Commission ait le pouvoir d’assortir les permis des conditions qu’elle estime nécessaires si les demandes de permis devaient comporter des renseignements tenant pleinement compte de toute éventualité pendant la période autoriséeNote de bas de page 18. »

(iv) Les principes ALARA, de justification et de prudence – le droit international coutumier et la LSRN

L’analyse de la Cour est particulièrement instructive en ce qui concerne ces questions – questions à l’égard desquelles les commissaires ne s’entendaient pas. La Cour s’est penchée sur la façon dont le droit international est incorporé au droit interne canadien et sur la façon dont il met l’accent sur ce que le législateur demande précisément à la Commission de faire, c’est-à-dire veiller à ce que le risque demeure acceptable et mettre en œuvre les obligations internationales du Canada lorsqu’elle exerce sa fonction réglementaire sous le régime de la LSRN.

CARN a soutenu que la Commission avait exercé son pouvoir discrétionnaire de manière déraisonnable au vu de trois principes : (i) le principe ALARA; (ii) le principe de justification; et (iii) le principe de prudence. Selon CARN, ces principes sont ancrés dans le droit international et les articles 3 et 9 et le paragraphe 24(4) de la LSRN exigeaient que la Commission les applique.

En ce qui concerne le principe ALARA, la Cour a conclu que la Commission « n’a[vait] pas omis déraisonnablement d’appliquer le principe ALARA, car elle n’était pas tenue de le faire dans sa décision. La Commission a conclu à juste titre que la défenderesse avait respecté le principe ALARA en surveillant les doses de rayonnement, en mettant en œuvre des “seuils d’intervention” et en mettant en place un comité ALARA. » La Cour était convaincue « [qu’a]ucun des règlements ou des documents d’application de la réglementation que le demandeur a invoqués n’oblige[ait] la Commission à respecter le principe ALARA dans ses décisions ou à tenir compte des facteurs sociaux dans l’application de ce principe ».

Pour ce qui est du principe de justification, il est important de noter que, de l’avis de CARN, selon ce principe, la Commission ne pouvait autoriser les opérations de production de pastilles à l’installation de Peterborough sans conclure que les effets bénéfiques découlant de l’exposition à des niveaux plus élevés de rayonnement ionisant l’emportaient sur les effets préjudiciables. La Cour a rejeté cet argument et a accepté celui de la défenderesse BWXT selon lequel, au Canada, la justification consiste à s’assurer que « le niveau de risque demeure acceptable » aux termes des articles 3, 9 et 24 de la LSRN. Fait important à noter, la Cour a conclu ceci :

Dans sa réponse à l’Agence internationale d’énergie atomique par laquelle elle a refusé d’adopter explicitement le principe de justification, la Commission a souligné que son processus d’autorisation « englobe » le principe de justification du droit international; cependant, elle a fait une distinction entre l’analyse de la justification prévue au paragraphe 24(4) de la LSRN, qui exige que les décisions soient justifiées par l’absence de risque déraisonnable, et le principe de justification reconnu en droit international, qui exige un examen de la question de savoir si les effets bénéfiques l’emportent sur les effets préjudiciables. En conséquence, il n’y a pas lieu d’affirmer que le principe de justification reconnu en droit international équivaut à une obligation juridique au Canada. Pour cette raison, il ne satisfait pas au critère de l’opinio juris et ne constitue pas une norme du droit international coutumierNote de bas de page 19.

Par conséquent, la décision de la Commission selon laquelle le titulaire du permis prendrait des mesures adéquates pour préserver la santé et la sécurité des personnes, protéger l’environnement, maintenir la sécurité nationale et respecter les obligations internationales du Canada satisfaisait au critère relatif au maintien d’un niveau de risque acceptable prévu par la LSRN.

Concernant l’application du principe de prudence, la Cour était convaincue que ce principe n’était pas en cause, car, comme tous les commissaires en avaient convenu, il n’y aurait pas de dommages graves ou irréversibles :

La Cour convient avec la défenderesse que [...] le principe de prudence n’était pas en cause en l’espèce. La majorité des commissaires a expressément conclu qu’il « n’y aurait pas de dommages graves ou irréversibles » par suite du transfert des opérations de production de pastilles à Peterborough. Le commissaire dissident a admis qu’il « est difficile de soutenir qu’il existe un risque de ‘dommages graves ou irréversibles’ en cas de transfert des opérations de production de pastilles ». Le critère ne réside pas, comme le commissaire dissident l’a mentionné, dans le fait qu’il y a inobservation du principe au motif que le transfert des opérations à Peterborough ne serait « pas sous le signe de la prudence ». Il était donc raisonnable de la part de la majorité des commissaires de conclure que le principe de prudence ne s’appliquait pas. [Non en gras dans l’original.]Note de bas de page 20

Dans sa conclusion, la Cour a souligné, en lien avec les préoccupations locales et les considérations sociales en cause, que même « [s’i]l est possible que des personnes raisonnables ne s’entendent pas sur la question de savoir s’il est sage d’étendre des opérations industrielles caractérisées par la manipulation de substances nucléaires dans un quartier résidentiel à un emplacement adjacent à une école primaire », la preuve technique était claire et les commissaires majoritaires ont agi de manière raisonnable et en conformité avec la LSRN. Elle a ajouté que bien qu’elle « [puisse] douter de la sagesse d’étendre l’exploitation d’une entreprise industrielle comportant la manipulation de substances nucléaires dans le voisinage immédiat d’une école primaire, ce n’est pas la question qu’elle doit trancher en l’espèceNote de bas de page 21 ». Après avoir appliqué la norme de contrôle de la décision raisonnable, la Cour était convaincue que la décision des commissaires majoritaires était raisonnable et n’était viciée d’aucune erreur qui justifierait une annulation.

Portée

Cette décision peut être considérée comme étant instructive de plusieurs façons, du point de vue de l’interprétation de la LSRN et de l’interprétation de la portée du pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission par sa loi habilitante. Tout d’abord, il y a lieu de noter qu’en 2022, les cours de révision continuent de faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de fait de la Commission, de son interprétation des pouvoirs qui lui sont conférés par la LSRN et de l’exercice discrétionnaire de ces pouvoirs, tant que les décisions de la Commission relèvent de la portée de son mandat législatif et de son expertise en sûreté nucléaire et tant qu’elles sont bien expliquées et justifiées par des motifs qui sont intelligibles et clairs.

La Cour reconnaît aussi que la Commission jouit d’une certaine « souplesse » pour interpréter sa loi habilitante et ses règlements. Cette souplesse accordée par le législateur signifie que les « points d’arrêt » ou conditions de permis imposés par la Commission relèvent du pouvoir qui lui est conféré à l’article 24 de la LSRN. À cet égard, la Cour a reconnu qu’il était raisonnable d’assortir un permis d’exigences axées sur l’avenir afin de pouvoir assurer une surveillance réglementaire au fil du temps et compte tenu des changements qui surviendront sans doute au fil des années.

Plus important encore, en l’espèce, la Cour a jugé que ni l’obligation de veiller à ce que « le niveau de risque demeure acceptable » prévue à la LSRN ni le principe ALARA n’exige une analyse précise de la question de savoir si « les effets bénéfiques l’emportent sur les effets préjudiciables ». On pourrait conclure que lorsque le Parlement a édicté la LSRN, a pris la décision stratégique que les activités nucléaires sont justifiées au Canada et qu’il incombe à la Commission de réglementer ces activités afin de veiller à ce qu’elles soient menées en toute sécurité. La LSRN pourrait être vue comme la manifestation d’une décision stratégique générale selon laquelle les avantages du nucléaire peuvent l’emporter sur les risques et sont justifiés, tant que la Commission assure une surveillance réglementaire pour veiller à ce que le niveau de risque demeure acceptable. À l’inverse, si les avantages du nucléaire ne l’emportaient pas sur les risques, le régime législatif en serait un d’interdiction et non de réglementation et d’atténuation des risques.

Enfin, la décision est également un important rappel que les principes et les fondements du droit international, pour être appliqués au Canada, doivent être incorporés au droit interne et c’est le droit interne qui s’applique aux industries réglementées. Lorsque la Commission examine la preuve dont elle est saisie, c’est le mandat qui lui est conféré par la LSRN qui guide ses décisions.

Footnotes

Note de bas de page 1

Citizens Against Radioactive Neighbourhoods (CARN) c BWXT Nuclear Energy Canada Inc., 2022 FC 849. Citizens Against Radioactive Neighbourhoods c BWXT Nuclear Energy Inc. - Cour fédérale (fct-cf.gc.ca)

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Note de bas de page 2

Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, LC 1997, c 9 (la LSRN). Règlement sur les installations nucléaires de catégorie I, DORS/2000-204.

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Note de bas de page 3

DEC 20-H2, 18 décembre 2020; Compte rendu de décision (nuclearsafety.gc.ca)

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Note de bas de page 4

Précité, note 3, au para 470 – la condition 15.1 était libellée ainsi : « Le titulaire de permis doit soumettre et mettre en œuvre un programme de surveillance environnementale à jour à l’installation de Peterborough avant le début de la production de pastilles de combustible, tel que décrit en i) a. et iii) de la Partie IV du présent permis. »

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Note de bas de page 5

Ibid. au para 471 – la condition 15.2 était libellée ainsi : « Le titulaire de permis doit présenter un rapport final de mise en service concernant la production de pastilles de combustible, tel que décrit aux paragraphes i)(a) et iii) de la Partie IV du présent permis, qui soit acceptable pour la Commission avant le début de la production commerciale de pastilles de combustible à l’installation de Peterborough. »

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Note de bas de page 6

Ibid. au para 472 – la condition 15.3 était libellée ainsi : « La production commerciale de pastilles de combustible doit être effectuée soit dans l’installation de Toronto, soit dans celle de Peterborough, mais non dans les deux installations. »

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Note de bas de page 7

Ibid. au para 449.

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Note de bas de page 8

Ibid. au para 443.

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Note de bas de page 9

Ibid. au para 450.

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Note de bas de page 10

Ibid. au para 451.

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Note de bas de page 11

Ibid. au para 447.

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Note de bas de page 12

Ibid. au para 448.

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Note de bas de page 13

Supra, note 1, au para 1.

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Note de bas de page 14

Ibid. au para 41, renvois omis.

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Note de bas de page 15

Greenpeace Canada c Canada (Procureur général), 2016 CAF 114.

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Note de bas de page 16

Supra, note 1, au para 73.

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Note de bas de page 17

Ibid., aux para 58-59, renvois omis.

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Note de bas de page 18

Ibid. au para 78.

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Note de bas de page 19

Ibid. au para 99.

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Note de bas de page 20

Ibid. au para 102, renvois omis.

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Note de bas de page 21

Ibid. au para 103.

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