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Notes d'allocution de la présidente Rumina Velshi au FORATOM Allocution principale

Le 18 juillet 2018, 8 h 30

Ottawa

Bonjour,

M. Binder, je vous remercie de votre présentation très généreuse et aimable. J’aurais aimé que mes parents vous entendent.

C’est un privilège et un honneur pour moi de m’adresser à vous ce matin. Avant de commencer, j’aimerais reconnaître que nous nous trouvons en territoire traditionnel algonquin.

Comme M. Binder l’a mentionné, j’ai été récemment nommée présidente et première dirigeante de la Commission canadienne de sûreté nucléaire, un poste que je commencerai à occuper le mois prochain. Depuis près de six ans, je suis commissaire de la CCSN, et pendant plus de 30 ans auparavant, j’ai été scientifique et ingénieure en sciences nucléaires.

Aujourd’hui, je souhaite aborder plusieurs sujets. Premièrement, j’aimerais partager certaines observations tirées de mon expérience de femme qui travaille dans l’industrie nucléaire canadienne depuis les années 1980, afin de démontrer tout le chemin qui a été parcouru depuis mon arrivée dans cette industrie. J’aimerais également discuter de quelques défis et occasions qui restent à relever ou à explorer pour faire augmenter le nombre de femmes dans les carrières en STIM (science, technologie, ingénierie et mathématiques). Enfin, j’aimerais vous faire part de mes premières réflexions sur la voie que doit suivre la CCSN pour évoluer au même rythme que les changements qui touchent le secteur nucléaire, réflexions issues de mes années à titre de commissaire de la CCSN.

À titre de scientifique, d’ingénieure et de gestionnaire, je fais partie du secteur nucléaire depuis que j’ai obtenu mon diplôme de l’Université de Toronto en 1978. J’ai occupé un de mes premiers emplois à la centrale nucléaire de Pickering d’Ontario Hydro (maintenant de l’Ontario Power Generation). J’ai fait partie du service de radioprotection et de l’équipe de mise en service de la centrale de Pickering B. Depuis ce premier emploi, j’ai assisté à la croissance de cette industrie pendant plus de 38 ans. Toutefois, j’ai aussi été un témoin privilégié. J’ai la chance d’avoir un point de vue de l’intérieur vers l’extérieur, mais en tant que femme qui travaille dans une centrale nucléaire, j’ai également en quelque sorte un point de vue de l’extérieur vers l’intérieur. J’ai été l’une des premières travailleuses du secteur nucléaire au Canada (ou travailleuse sous rayonnements, selon l’expression utilisée à l’époque), la première femme à travailler avec des matières radioactives, la première travailleuse par quart et la première travailleuse enceinte sous rayonnements à être autorisée par l’organisme de réglementation à entrer dans la zone de rayonnements, ce que je devais faire parce que j’étais superviseure du laboratoire de radioprotection, qui était alors inexplicablement situé dans la zone 2.

À cette époque, il y a 38 ans, l’environnement de travail dans une centrale nucléaire était très différent ‒ en particulier pour les femmes. Je ne crois pas que les concepteurs de la centrale de Pickering s’attendaient à ce que des femmes travaillent un jour à la centrale. Premièrement, le seul vestiaire que les femmes pouvaient utiliser n’était pas conçu pour servir de vestiaire – cette salle ne comportait qu’une seule porte qui servait de porte d’entrée et de sortie – ce qui va à l’encontre de toutes les règles les plus élémentaires du contrôle de contamination. Le vestiaire des femmes était également une cachette très prisée des travailleurs de nuit qui voulaient faire un somme. Après quelques malaises survenus lorsque j’ai surpris, en sortant de la douche, quelqu’un qui dormait sur un banc dans le vestiaire, j’ai commencé à verrouiller la porte lorsque j’entrais dans le vestiaire.
Il y a environ huit ans, je visitais une centrale nucléaire en Europe, où il n’y avait pas de vestiaire pour les femmes. Pour entrer dans la zone de rayonnement, j’ai dû utiliser le vestiaire des hommes (après m’être assurée que personne ne s’y trouvait). J’espère que cette situation ne pourrait se reproduire dans aucune autre centrale nucléaire dans le monde.

À la centrale de Pickering dans les années 1980, les femmes devaient porter les mêmes vêtements pour la zone de rayonnement que les hommes, soit des sous‑vêtements et des gilets de corps pour hommes. Lorsqu’Ontario Hydro a commencé à embaucher davantage de personnel d’entretien féminin, il a été décidé d’approvisionner le vestiaire des femmes en sous‑vêtements féminins. Toutefois, pour obtenir un soutien‑gorge sport, les femmes devaient se rendre au magasin de la centrale et demander au magasinier un soutien‑gorge de la bonne taille. Maintenant, je crois que je n’apprendrai rien aux hommes ici présents en disant que la plupart des femmes aiment encore moins révéler la taille de leur soutien‑gorge que leur âge. Quelque chose me dit qu’aucune femme n’a été consultée dans l’élaboration de cette procédure. Heureusement, cette procédure a été rapidement éliminée.

Le matériel pornographique en milieu de travail était plutôt répandu à cette époque. Avant que je commence à travailler par quart, le superviseur de quart de l’équipe à laquelle j’allais me joindre a envoyé une note à tous les membres de son personnel pour leur demander de « changer leur comportement ». Malgré cette instruction, il n’était pas rare de trouver des pages centrales de Playboy ou des photos encore plus explicites dans la salle de pause des opérateurs, dans la buanderie ou même entre des pages de manuels dans la salle de commande principale. Pour le bien de ma carrière, je me suis fait une carapace contre la présence de matériel pornographique au travail. Je me suis fait un devoir de n’afficher aucune réaction lorsque je trouvais ces photos ‒ il était important que je choisisse mes batailles et que je ne rende pas la route encore plus ardue pour les femmes qui allaient me suivre en réagissant trop fortement. Ma priorité était de faire aménager un vestiaire réellement adapté aux femmes et de permettre aux femmes d’avoir droit à des vêtements féminins pour aller dans la zone de rayonnement, et c’est le combat que j’ai choisi de mener.

La centrale de Pickering‑B était en construction à cette époque, et les travailleurs de la construction avaient un comportement tout à fait stéréotypé, et les femmes qui se déplaçaient dans la centrale devaient composer avec des cris et des sifflements. Bien que je n’aie jamais craint pour ma sécurité physique, je m’assurais de ne jamais me déplacer seule dans la centrale pendant la semaine. Ce n’est que le vendredi après-midi, après le départ des travailleurs de la construction, que j’explorais la centrale seule.

Je suis très touchée par des films comme Les figures de l’ombre (Hidden Figures), où l’on voit qu’au début des années 1960, les femmes qui travaillaient à la NASA devaient courir un kilomètre simplement pour trouver des toilettes. Notre réalité, 20 ans après les années 1960, n’était que légèrement mieux.

Plus tard, dans les années 1990, j’ai suivi le cours de directeur de centrale nucléaire qui, du moins à cette époque, comptait des participants du Canada et des États‑Unis. Selon le code vestimentaire du cours, décrit dans les instructions préparatoires au cours, il fallait porter une chemise habillée et une cravate. J’ai observé le code : j’ai porté une chemise habillée et un foulard tous les jours. Pour survivre ‒ et surtout pour réussir ‒ dans cette industrie, dans les années 1980 et 1990, comme dans les autres domaines dominés par les hommes, vous deviez avoir une bonne carapace, ne pas vous plaindre et être forte.

Je partage ces observations pour que vous puissiez voir tous les progrès que cette industrie a déjà réalisés. Ces incidents et ces conditions seraient inadmissibles aujourd’hui, Dieu merci. Toutefois, nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers puisque je veux également vous parler de ce que je considère comme les défis et les occasions qui nous attendent.

Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir pour que les femmes puissent participer à part entière au secteur nucléaire et aux autres secteurs des STIM. De nos jours au Canada, les femmes représentent moins du quart des personnes qui travaillent en STIM. Les proportions sont semblables aux États‑Unis et en Europe. Dans le secteur nucléaire canadien, les femmes représentent moins de 20 % de la main‑d’œuvre, ce qui inclut le personnel administratif. J’ai demandé une répartition de cette tranche de 20 % pour savoir combien de ces femmes exercent des fonctions administratives, techniques et des postes liés aux opérations et à l’entretien, des postes de gestion ou de cadre supérieur. Je n’ai pas encore reçu ces statistiques, ce qui est en soi très révélateur et confirme le vieil adage « ce qui est mesuré est fait ». Est‑il donc surprenant que la représentation des femmes dans l’industrie nucléaire canadienne n’ait essentiellement pas changé depuis plus d’une décennie?

À titre de femme ingénieure en sciences nucléaires, j’ai eu le privilège au fil des ans d’encadrer de jeunes femmes scientifiques et ingénieures pour les aider à trouver leur place dans les secteurs STIM. Je souhaite partager quelques observations tirées de ces expériences pour que vous ayez une meilleure idée de la réalité de certaines femmes dans les secteurs STIM, encore aujourd’hui, en 2018.

Laissez‑moi d’abord vous parler d’une jeune femme d’une trentaine d’années qui est la fille d’une amie, que j’ai encadrée au fil des ans. Elle est ingénieure mécanique et travaille dans le secteur de la conception d’automobiles. L’été dernier, elle est venue me voir, bouleversée, pour me demander des conseils. Elle travaillait sur un projet de l’un des trois grands constructeurs d’automobiles et avait besoin de rencontrer le gestionnaire de projet, qui ne lui donnait pas de disponibilités. Elle n’avait jamais rencontré ce gestionnaire, mais lui avait parlé au téléphone à plusieurs reprises, et ils avaient échangé des courriels. Elle lui a finalement envoyé un courriel pour lui dire que le projet allait être interrompu à moins qu’ils puissent se rencontrer pour discuter de quelques problèmes sur lesquels il fallait prendre une décision urgente. Il a accepté à contrecœur de la rencontrer. La jeune ingénieure attendait à la réception des bureaux de la société d’automobiles à Detroit lorsque le gestionnaire de projet est venu la rencontrer. Ses premiers mots à son endroit ont été : « Si j’avais su que vous étiez si jolie, j’aurais accepté de vous rencontrer immédiatement ». La jeune femme a raconté que toutes ces remarques l’avaient rendue mal à l’aise, mais qu’elle s’était contentée de sourire poliment sans rien dire. Je suppose que, comme moi et comme de si nombreuses femmes, elle ne voulait pas paraître trop sensible ou délicate alors qu’on lui faisait un compliment. Or, l’homme ne s’est pas arrêté là et a dit : « Permettez‑moi de vous donner un conseil. Pourquoi ne mettez‑vous pas votre photo dans votre bloc-signature? Tout le monde voudra vous rencontrer. »  

Elle était alors carrément mal à l’aise, mais puisqu’elle avait déployé tant d’efforts pour organiser la rencontre, elle est passée à la rencontre sans rien dire. À son retour à son bureau principal, elle a décrit ce qui s’était passé à son gestionnaire en expliquant à quel point cette expérience avait été dégradante. Le gestionnaire a répondu : « Eh bien, dorénavant, laisse Jeff (son collègue) rencontrer le client. Tu pourras préparer le rapport et la présentation, et Jeff pourra effectuer la présentation. » Elle était complètement renversée parce qu’elle constatait que le malaise que lui inspiraient les remarques de cette nature lui faisait peut‑être manquer des occasions et pouvait stopper la progression de sa carrière. Elle m’a demandé des conseils sur la façon de gérer la situation.

Je demande donc à chacun de vous : qu’auriez-vous fait à la place de la jeune femme, de son gestionnaire ou à ma place, en tant que mentor?

Si cette jeune femme vivait quelques autres rencontres de cette nature, seriez‑vous surpris si elle décidait de changer de domaine de travail?

À une réunion récente de la Commission canadienne de sûreté nucléaire, un de nos titulaires de permis a effectué une présentation. Le chef de cette organisation a pris quelques minutes pour vanter l’engagement du personnel de la centrale et son dévouement pour la population de l’Ontario. La diapositive qui accompagnait ses remarques comportait une photo qui montrait une vingtaine de travailleurs portant leurs combinaisons, leurs casques de protection et leurs lunettes de sécurité, qui se tiennent fièrement devant le bâtiment. Parmi ces 20 travailleurs, il n’y avait aucune femme. Je sais toutefois que beaucoup de femmes travaillent à cette installation et que certaines occupent des postes très élevés. Ce qui m’a décontenancée, c’est que personne n’avait remarqué l’absence de femmes dans l’image, bien que je sois certaine que la documentation de la présentation a subi plusieurs révisions avant d’être soumise à la CCSN.

Ces aveuglements surviennent fréquemment seulement parce que les gens sont insouciants ou ne tiennent pas compte des conséquences sur les autres de leur choix d’images censées être représentatives.
Je ne saurais trop insister sur l’importance que nous choisissions soigneusement les images et les mots qui représentent notre industrie. Le secteur nucléaire accueille les gens de tous les horizons. Je peux du moins confirmer qu’il a été très accueillant à mon égard. Toutefois, si l’industrie choisit de se représenter par des images qui semblent sortir des années 1970, elle enverra comme message aux jeunes femmes qui sont rendues à choisir leur carrière que l’industrie nucléaire ne leur convient peut‑être pas, ce qui serait une perte immense pour l’industrie nucléaire. J’ai consacré beaucoup de temps à tenter d’encourager les autres femmes à devenir scientifiques de l’énergie nucléaire et ingénieures en sciences nucléaires, et je sais que cette question est importante, et j’espère que nous en ferons tous davantage pour mieux décrire la réalité de notre industrie.

J’aimerais nous lancer le défi suivant : j’aimerais que nous fassions tous un effort concerté pour encourager les filles et les femmes à s’intéresser à des carrières et à des métiers en STIM et que, dans nos sphères d’influence respectives, nous tentions de déterminer ce que nous pouvons faire personnellement pour que nos processus, notre culture et notre environnement de travail soient favorables à la réussite des femmes, ce qui sera essentiel pour que notre industrie soit solide, innovatrice et durable.

Comme je l’ai mentionné précédemment, je suis chargée de la réglementation depuis plus de six ans ‒ à titre de commissaire à la CCSN et de membre de la Commission de l’énergie de l’Ontario, un organisme de réglementation économique qui établit les prix de l’électricité et du gaz. En terminant, je souhaite partager mes premières réflexions sur la façon dont les changements dans le secteur nucléaire créent des occasions qui permettront à la CCSN de continuer à évoluer à titre d’organisme de réglementation de classe mondiale.

Premièrement, au Canada, l’une des principales occasions que pourrait saisir l’industrie nucléaire consistera à voir à ce que les projets de réfection en cours soient réalisés de façon sécuritaire. La réussite de ces réfections, en plus de permettre la production d’énergie propre et la création d’emplois bien rémunérés pour des milliers de Canadiens pendant des décennies, donnera à toute l’industrie nucléaire nord-américaine la possibilité de miser sur le talent et la technologie du Canada dans le cadre de la réfection de ses centrales vieillissantes.

Deuxièmement, la CCSN joue un rôle important afin de maintenir les exigences réglementaires du Canada parmi les meilleures au monde, tout en s’adaptant aux nouvelles technologies. La CCSN se trouve devant une occasion exceptionnelle pour que l’industrie nucléaire canadienne fasse partie du panier mondial d’énergies propres. La CCSN a un rôle clé à jouer pour faire en sorte que le Canada devienne un chef de file mondial des nouvelles technologies nucléaires, comme le marché des petits réacteurs modulaires. De plus, la CCSN peut aider les décideurs, les fonctionnaires et l’industrie à se tourner vers des solutions qui permettront de relever les principaux défis en matière de réglementation auxquels sera confronté le secteur au cours des prochaines années. Je pense par exemple à la gestion à long terme des déchets nucléaires.

Il faudra ensuite améliorer la confiance du public en faisant preuve d’une transparence accrue. Cette question touche tous les organismes de réglementation qui prennent part à l’approbation de projets au pays.

Le processus d’audiences et de réunions publiques de la CCSN est ouvert au public, et les audiences et les réunions se tiennent souvent dans la collectivité concernée et sont diffusées sur le Web. Les organismes de réglementation nucléaires de partout dans le monde reconnaissent que cette façon de faire est une pratique exemplaire qu’il faut tenter de reproduire. De même, au cours des dernières années, d’énormes progrès ont été réalisés par la CCSN et les titulaires de permis pour que les documents et les rapports soient facilement accessibles en ligne par le public.

Toutefois, il reste beaucoup à faire. Beaucoup de membres du public nous répètent encore qu’ils doivent être mieux informés. Nous nous adressons à deux publics distincts. Le premier se compose d’organisations non gouvernementales ou de la société civile spécialisées qui souhaitent avoir accès à des données brutes détaillées pour elles ou pour leurs experts‑conseils afin de mener leurs analyses indépendantes détaillées. Le deuxième public se compose de membres du public, qui souhaitent obtenir des renseignements actuels, concis, faciles à comprendre et faciles d’accès qui résument et mettent en contexte d’importantes quantités de données techniques.

La participation significative du public représente un autre élément pouvant favoriser l’amélioration de la confiance du public. À titre de commissaire, je constate que la participation du public permet de recueillir des points de vue précieux et entraîne la prise de meilleures décisions en matière de réglementation. Parmi les principaux exemples d’interventions publiques qui nous ont aidés à prendre de meilleures décisions, mentionnons les plans de distribution préalable de comprimés d’iodure de potassium (KI), la planification de la gestion d’urgence hors site, l’élaboration d’évaluations des risques pour l’ensemble du site et l’étude d’accidents graves hors‑dimensionnement.

J’ai très hâte de consulter nos parties intéressées et nos experts sur la façon dont nous pouvons faciliter l’accès pratique à l’information et permettre une participation significative et productive du public aux processus de la CCSN.

Je terminerai par une dernière réflexion. L’énergie nucléaire n’est pas une technologie énergétique du passé. Cette technologie est à l’avant‑garde des grands progrès technologiques actuels et demeurera une source importante d’énergie au cours des prochaines décennies, en particulier dans les pays axés sur les énergies propres. Je crois que la confiance du public dans le secteur nucléaire dépendra de la capacité de la CCSN de demeurer un organisme de réglementation de classe mondiale. Je suis convaincue que vous êtes tous dévoués envers une industrie nucléaire sécuritaire, sûre et transparente au Canada et que votre dévouement n’a pas d’égal, alors même que s’écrit le prochain chapitre de l’histoire de ce secteur.

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